• La grande peur de la télévision , de Jacques Keable - FIN

     

    le concept est simple et la France l’a éprouvé : des chaises, un animateur passionné et un pichet d’eau. Publie-t-on assez de livres au Québec pour «remplir» une telle émission ? Et comment ! En cinq ans, il s’est publié pas moins de 48 000 titres. Voilà bien des livres et bien des gens que l’on ignore complètement et qui pourtant ont des choses intéressantes à dire.

     

    Tous les prétextes offerts pour expliquer cet abandon (cotes d’écoute, concurrence, baisse des subventions, manque d’auteurs, manque d’intérêt, etc.) sont insatisfaisants. Par exemple, lorsque les subventions coulaient à flots, la télé publique n’avait pas plus d’émissions littéraires. Pas plus que lorsqu’il n’y avait pas de concurrence pour la télévision d’État, pendant les dix premières années de son existence. Il faut donc se rendre à l’évidence devant ce manquement énigmatique : la télévision a peur du livre !

     

    Première hypothèse : le livre est censuré par le pouvoir de l’Argent.

     

    On croit à tort que la censure n’existe plus en notre pays, qu’elle n’est que l’apanage des dictatures ou des idéologues. Pourtant, ce qui existe partout ailleurs, existe chez nous. Maints exemples nous rappellent que nos médias subissent des pressions des puissants, des gouvernements. On apprend que le subversif Jacques Ferron « n’est pas pour notre public » radio-canadien, non plus que le sulfureux Michel Chartrand (dans la deuxième partie plus souverainiste de Chartrand et Simone), récupéré in extremis par Radio-Québec. Les exemples pleuvent… La subversion effraie, est ignorée, chassée et le livre avec elle. Au fond, censurer tout en ignorant tout, ce n’est pas de la censure et on n’est accusé de rien!

     

    Deuxième hypothèse : le complexe d’infériorité de la culture québécoise.

     

    C’est tellement un lieu commun qu’on en parlera peu. Il ne fait pas de doute que la télévision a bel et bien intégré le complexe et méprise la qualité des intellectuels d’ici. Combien de fois n’a-t-elle pas attendu le succès français d’un Québécois pour le célébrer? Il suffit de voir arriver un intellectuel de l’Hexagone au village pour que la télé lui déroule le tapis rouge pendant que les nôtres, ignorés, rongent leur frein devant le téléviseur.

     

    Que doit-on faire? Que peut-on faire? Ne nous reste-t-il plus qu’à nous résigner à écouter PBS ou TV5? Non. Nous devons exiger sa juste part au livre; il y a urgence.