• Avis sur PEUT-ÊTRE UNE HISTOIRE D’AMOUR, de Martin Page

     

    « Virgile, c’est Clara. Je suis désolée, mais je préfère qu’on arrête là. Je te quitte Virgile. Je te quitte. » C’est le message que Virgile, jeune publicitaire trentenaire, découvre un soir, en rentrant chez lui, sur son répondeur. Le hic, c’est que Virgile ne connaît aucune Clara…
    C’est le talent reconnu de Martin Page que de trouver des accroche-lecteurs qui vous font toujours entrer dans ses livres en salivant (son premier roman, Comment je suis devenu stupide, présentait le pari fou d’un jeune homme, persuadé que l’intelligence rend malheureux, de s’abrutir volontairement). Ici, pour son cinquième livre, nous voilà plongés dans une histoire étrange, poétique et loufoque, souvent drôle ; celle d’un jeune homme plaqué par une fille qu’il ne connaît pas et qui, par défi ou par instinct de survie, décidera de la reconquérir.
    Mais rien de tout ça, bien sûr, ne va de soi. Virgile choisit d’abord d’ignorer ce mystérieux message, le considérant comme une farce ou une erreur. Mais la nouvelle de cette « rupture » se répand auprès de ses amis qui rivalisent alors de sollicitude à son égard, lui dont la vie sentimentale a toujours été jusqu’à ce jour une véritable Berezina. Une seule explication possible se fait alors jour dans son esprit, il est atteint d’une tumeur au cerveau et celle-ci grignote sa mémoire au point de lui avoir fait oublier Clara. Bien évidemment il aura vite la confirmation qu’il ne souffre d’aucune maladie incurable et il lui faudra donc explorer bien d’autres pistes (« Le mois d’octobre prenait un tour intéressant, Virgile avait échappé à la maladie et un mystère surgissait dans sa vie ») avant d’en avoir finalement le cœur net. Ou pas.
    Dans ce roman où la fantaisie est très présente (les parents de Virgile sont saltimbanques dans un cirque itinérant, lui-même vit dans un hôtel de passe, sa meilleure amie, lesbienne, se lance dans les arts divinatoires…), l’humour pince-sans-rire récurrent (« Virgile avait été amoureux d’elle à son arrivée. Deux choses avaient arrêté ses élans : elle était sa supérieure et elle était insensible à son charme »), Martin Page déroule une histoire douce-amère aux allures de conte philosophique. Car cette fille dont il n’a pourtant aucun souvenir lui manque peu à peu et l’entraîne vers une réflexion plus profonde sur ses précédents échecs sentimentaux, et le sens de sa vie passée (« Tu es misanthrope, tu manques de confiance en toi, tu travailles dans la pub et tu vis dans un immeuble à putes. Normal que les femmes ne soient pas à l’aise »).
    Ne vous attendez pas pour autant à une suite de rebondissements rocambolesques, Martin Page peinant quelque peu au final à maintenir le rythme de la mise en bouche sur 200 pages et ajoutant du coup de multiples circonvolutions au récit, de savoureuses digressions cependant, sur Paris, les rapports amoureux, la maladie, Hemingway et les McDo, l’« architecture éphémère » de la publicité, la destinée des éléphants et les enfants des autres. Sa drôlerie coutumière va alors se loger dans les épisodes les plus inattendus comme cette analogie entre les supermarchés et les rives du Gange à Bénarès ou le rapprochement entre le développement du tourisme et la multiplication des histoires sentimentales…
    Mais au final, on retiendra que cette rupture virtuelle achèvera par remettre de l’ordre dans la vie de Virgile, ce garçon sans grand goût pour la normalité, allant même, peut-être, jusqu’à lui donner un sens. Ce n’est déjà pas si mal

     

     

     

    PEUT-ÊTRE UNE HISTOIRE D’AMOUR, Martin Page Éditions de l’Olivier, 196 p., 18 € (août 2008)